1873 -
Emigration
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Source: Gazette Jurassienne 28.04-4.05 1873
Suite de l'article précédent:...
Il y a eu aussi des scènes de dévouement admirables. William Heymann a sauvé le seul enfant qui ait échappé. Heymann passait par un sabord il entend derrière lui une voix qui lui crie : "Sauvez d'abord le petit ! ". Presque épuisé, il rentre dans le vaisseau et sauve le petit.
Deux hommes n'ont pas voulu être sauvés. M. Albert Sumner a ôté son paletot, et s'est précipité d'un mât dans la mer. Il ne pouvait plus supporter l'angoisse du désespoir.
C'est en revenant au rivage qu'on apprend ces derniers détails, et ceux de l'héroïsme de William Hoey, qui s'était accroché à une roche et arrachait à la mer, avec les dents, les nageurs épuisés comme lui.
Il est impossible de mettre de l'ordre dans tous ces faits, surtout lorsqu'on voit les rangées de cadavres entassées sur le gazon, et ceux qu'on jette dans une vaste fosse commune, et les visiteurs qui viennent là reconnaître, s'ils peuvent, un ami ou un parent dans des lambeaux de corps, des cadavres dont la bouche écume, des membres tordus par les convulsions, des paquets de chair meurtrie et sanglante!
C'en est trop, et on apporte toujours des cercueils. Il y en a en métal pour les passagers de salon, que le Capitaine Williams doit faire transporter sur la continent ; il faut qu'il reste sur le rivage, qu'il surveille I'embarquement dans le train. Ce sera le châtiment de la négligence qu'on lui reproche jusqu'ici.
Il est navrant à voir et à entendre. Il ne peut oublier une petite fille qui s'accrochait à son cou et lui criait de la sauver. Il dit qu'il s'en souviendra jusqu'à son dernier moment. Le malheureux n'avait jamais été à Halifax, et il est incontestable qu'il a été victime de la parcimonie de la Compagnie.
Le charbon, surtout à cause de la grève des mineurs anglais, était beaucoup plus cher en Angleterre qu'en Amérique. La compagnie de l'Etoile blanche réalisait des bénéfices considérables en achetant le moins possible en Angleterre. Les actionnaires gagnaient 225,000 francs de dividende par trimestre.
Et si le capitaine Williams n'avait pas eu encore ses deux jours de charbon pour aller jusqu'à Halifax, il était condamné à mourir de faim. Il n'avait que pour deux jours de vivres ! Quelle imprévoyance et quelle parcimonie ! Les fautes de la Compagnie n'excusent pas l'insouciance du capitaine, qui n'a pas fait faire de sondages prés de la côte, et qu'il a fallu secouer pour le réveiller.
Voilà ce qui se disait encore, le 3, à New-York et à Halifax, quand nos reporters amassaient à la hâte et en tas tout ce que nous venons d'essayer de débrouiller, et en le racontant comme si nous y étions, tant il nous a été impossible de démêler des incidents dont nous omettons encore une partie !
Voici encore quelques détails que nous empruntons au Monde :
L'Atlantic partait de Liverpool le 20 mars. Il s'arrêtait à Queenstown le 21 pour prendre les dépêches et les voyageurs, puis il reprenait sa route. Il portait, y compris les hommes d'équipage et les passagers, plus de 1,000 personnes. Le temps était orgeux, mais dans la trversée il n'a pas rencontré de fortes tempêtes, et vers le dixième jours, 31 mars, on s'aperçut que le charbon manquait et le capitaine Williams se décida à tirer une pointe sur Halifax pour s'approvisionner. Vers minuit, d'après les calculs faits, le navire se trouvait à 35 milles du cap de Sambro. A deux heures, par fatale méprise, on prit le phare de Prospect pour le phare du Sambro, et le navire se jetait sur les rochers de Meagher, et après deux ou trois secousses, avant qu'on eût pris aucune mesure pour sauver les passagers, il s'enfonçait sous les eaux. S'il y avait eu plus de profondeur, personne n'eût échappé. Il s'enfonça de telle sorte, qu'a l'exception du mât de beaupré, toute la coque disparut. Ceux qui périrent étaient presque tous endormis, On évalue le nombre des victimes à 750. Près de 250 personnes, y compris le capitaine ont trouvé un refuge sur le rocher.